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Pourquoi et comment obtenir des sources fiables concernant le système de santé

Citation finale de:

Dès que l’on veut aborder un sujet du système de santé, on s’aperçoit assez vite qu’on est obligé de connaître une foultitude d’autres éléments. Quelles sont les masses financières en jeu ? Qui décide ? Qui pilote ? Qu’est-ce que la dette de la sécu ? Et la T2A ? Et pourquoi comparer les dépenses de santé au PIB ? etc.
On a l’impression que le questionnement est sans fin, chaque nouvelle réponse amenant une nouvelle question.

Ce billet a pour objectif de partager mon expérience sur la façon d’aller trouver des éléments de réponse sur Internet et propose quelques sources d’information à privilégier.


En préambule, je dois dire que le système de santé était un sujet qui me touchait de par son utilité vitale confrontée à ses dérèglements actuels. Ainsi, dans mon coin de Finistère, s’il n’y a pas de pénurie de généralistes, on ne peut en dire autant des gynécologues et des cardiologues, par exemple. Pour la dermatologie, il ne faut pas trop compter sur le secteur libéral qui privilégie les soins esthétiques, plus rémunérateurs, aux soins médicaux. Pour l’hopital public, nous sommes semble-t-il des privilégiés puisque nous avons un hopital avec un service d’urgence. Cependant, c’est balot me direz-vous, les services de chirurgie et de maternité ont été fermés, et les urgences ne fonctionnent plus la nuit. Et comme aucun médecin libéral n’effectue de garde, on essaie de ne pas être malade la nuit. J’imagine que, pour l’ARS, c’est aux patients à faire preuve de volonté pour ne pas être en détresse la nuit, un peu comme l’apprentissage de la propreté.

Le système de santé était donc un sujet qui me touchait mais sur lequel je n’avais pas de véritable compréhension tant concernant son fonctionnement que son financement et son gouvernement.

Et les réponses des autorités face aux dérèglements constatés m’apparaissaient éloignées de mon quotidien, puisqu’on nous explique qu’il s’agit en fait d’une optimisation du fonctionnement du système de santé afin d’améliorer la qualité des soins. C’est là que j’ai commencé à m’inquiéter, à ressentir un malaise grandissant face à l’écart entre mon vécu quotidien et la réponse des autorités. En même temps, moi qui n’aime presque qu’exclusivement les litteratures de l’imaginaire, j’avais l’impression de me retrouver face à des autorités qui s’exprimaient en novlangue en m’expliquant que, si ça va mal, c’est pour mon bien. Brrr, délicieux frisson…

Pour sortir de cette situation d’étreinte fatale, il me fallait acquérir des éléments tangibles de compréhension du système de santé. Des éléments, car j’avais essayé d’aborder le système comme un tout et je m’y étais cassé les dents. En fait je me suis rendu compte qu’il fallait se choisir un sujet pris au détour d’un article intéressant, par exemple, et creuser par soi-même. Pour moi cela a été ce billet passionnant sur France-Culture qui, bien que me passant pour beaucoup au dessus de la tête, m’a fait ressentir qu’il y avait là, enfin, un levier de compréhension.

Et j’ai commencé à fouiller. Et je suis loin d’avoir terminé. Mais j’ai dorénavant acquis des points de repère tangibles, que j’essaierai de transmettre sur ce blog au fil de l’eau, ainsi qu’une sorte de méthode d’approche basée sur les sources. C’est cette méthode qui est l’objet de ce billet.

Les sources tierces, même considérées comme fiables, peuvent contenir des erreurs factuelles.

Concernant le gain en fiabilité obtenu par les sources directes plutôt que par une tierce partie, je vais donner un exemple qui ne se veut pas polémique, car l’erreur pointée n’a aucune incidence sur la qualité globale du texte concerné.

On peut lire page 10 du rapport sénatorial sur les aspects financiers de la protection sociale d’octobre 1992 « Notre système de protection sociale est désormais un acquis national que la France a mis deux générations à bâtir, à partir de l’ordonnance du 9 octobre 1945 signée par le Général de Gaulle. »

En fait, quand on vérifie sur Légifrance, on ne trouve pas d’ordonnance relative à la protection sociale à cette date. C’est angoissant car on se dit qu’on ne sait pas chercher, qu’on n’y comprend rien, qu’il vaut mieux laisser ça aux spécialistes, etc.

Deux sources tierces distinctes vont me rassurer. Je lis dans mon Que sais-je ? sur la sécurité sociale que « Deux ordonnances du 4 octobre 1945 (relative à l’organisation de la sécurité sociale) et du 19 octobre 1945 (relative aux prestations de sécurité sociale) créent le système de sécurité sociale. » Le site de la sécurité sociale fait référence aux mêmes textes. Donc l’ordonnance à chercher ne date pas du 9 mais du 4 octobre.

Comme on peut le constater sur le site legifrance et celui de la sécurité sociale, c’est Jules Jeanneney, ministre d’État du gouvernement provisoire, qui est le signataire de l’ordonnance du 4 octobre 1945 instituant la sécurité sociale.

Bien sûr, tout ça est très consommateur de temps et n’est malheureusement pas aussi palpitant que « La fille du temps » de Josephine Tey. Mais c’est un exercice particulièrement instructif qui permet de gagner en autonomie intellectuelle.

Des sources primaires et des difficultés rencontrées

J’appelle sources primaires relatives au système de santé les lois, ordonnances, décrets et codes legislatifs ou réglementaires. Ce sont à mon sens les sources les plus directes et les plus fiables sur le système de santé. Leur lecture est souvent assez technique mais quelques textes sont compréhensibles pour le non spécialiste.
Ces sources peuvent avoir fait l’objet de discussions au Parlement, voire de jugements (Conseil constitutionnel, Conseil d’État), toutes choses qui permettent d’en éclairer le contenu, le cas échéant.

La profusion des sources primaires et leur structure en millefeuille –due aux évolutions législatives et réglementaires incessantes concernant la santé et la sécurité sociale– sont assez destabilisantes. Mais à notre niveau, on a essentiellement besoin de vérifier si les références fournies par une source tierce sont exactes et appropriées. De plus, si par chance le texte est lisible par un non spécialiste, on peut alors y avoir directement accès et se forger sa propre opinion.

Le site à privilégier pour obtenir des sources primaires est Légifrance. Les résultats des recherches internes y sont pertinents.

Cependant, quelquefois, le formatage du texte est peu lisible.

C’est par exemple le cas pour la version initiale de l’ordonnance du 4 octobre 1945 portant organisation de la sécurité sociale. Si je tape « ordonnance 4 octobre 1945 » sur le site Légifrance, j’ai 6 réponses et la deuxième est la bonne. Je la sélectionne, l’adresse est https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000698857/?isSuggest=true et son contenu s’affiche.
Ce contenu est très clairement formaté, avec un sommaire cliquable. Il est précisé que le texte est la Version en vigueur au 14 décembre 2020 (ou à toute date à laquelle on effectue la recherche). Et il y a même une case à cocher pour Voir les articles et les sections abrogés. Si on regarde bien, en tout petit, il est écrit « Dernière mise à jour des données de ce texte : 01 janvier 2002 ». En effet, on voit clairement dans le texte des précisions sur les modifications des articles, avec des liens sur les textes en question. L’ordonnance initiale a ainsi été modifiée par des lois, décrets et ordonnances de 1945 à 2000.
Pour accéder à la version initiale, il y a un lien cliquable «Accéder à la version initiale» en dessous du titre du texte. J’y vais et là pour les articles j’ai des liens qui ne conduisent à aucun contenu, mais je peux télécharger le journal officiel complet du 4 octobre 1945 sur 32 pages et 3 colonnes… Je précise que beaucoup d’autres textes ont des versions initiales lisibles et navigables, mais pas celui-ci.
Le seul moyen que j’ai trouvé pour avoir une version initiale lisible et navigable dans un cas de ce genre, c’est d’obtenir une version du texte au plus proche de la date de parution. Ça n’a pas marché pour les 5 et 6 octobre, mais ça a réussi pour le 7 octobre 1945.

Plus grave, par exemple la version Legifrance de l’ordonnance n° 45-2454 du 19 octobre 1945 fixant le régime des assurances sociales applicable aux assurés des professions non agricoles ne permet que d’obtenir le scan de la version papier de 64 pages du Journal officiel correspondant. Il est impossible d’avoir le détail des articles, quelle que soit la date de version demandée. Heureusement, on peut obtenir le texte sur le site de la sécurité sociale.
Dans ce chapitre d’inquiétantes étrangetés figure aussi la loi n° 48-1306 du 23 août 1948 portant modification du régime de l’assurance vieillesse pour laquelle je n’arrive à trouver qu’un unique article, l’article 14…

On peut avoir aussi des problèmes beaucoup plus légers, comme par exemple ne pas avoir de sommaire cliquable sur une version initiale. C’est le cas pour l’ordonnance du 24 avril 1996 portant réforme de l’hospitalisation publique et privée. On va voir que cela soulève d’autres problèmes.
Ici encore, une recherche sur le site va me permettre, après avoir sélectionné la deuxième réponse, d’afficher un texte à la date du jour. Ce texte est clair, lisible, navigable, avec un sommaire cliquable etc. Si je clique sur le lien « Accéder à la version initiale », s’affiche alors un texte parfait, sauf qu’il n’y a plus de sommaire du texte. Mais tout rentre dans l’ordre si je demande le texte à la date du 25 avril 1996.
Malheureusement; dans ce cas, le sommaire peut ne plus correspondre au contenu initial. En effet, si on compare la version initiale avec le texte à la date du 25 avril 1996, le titre I n’apparait ni dans le sommaire ni dans le texte (mais l’ensemble des articles est semble-t-il bien correctement répertorié).

Plus dérangeant, concernant l’ordonnance 96-344 du 24 avril 1996 portant mesures relatives à l’organisation de la sécurité sociale, entre la version initiale et la version au 25 avril j’ai des différences notables :
– Le sommaire de la version au 25 avril n’a pas de titre VI et le titre V contient l’article 24 du titre VI.
– Le sommaire de la version au 25 avril considère que le titre I concerne les articles 5 à 10 alors que dans la version initiale le titre I court des articles 1 à 5.
– De même, on trouve des écarts avec les autres titres.
– Et l’article 3 a disparu…

Ces dissonances sont excessivement gênantes, il faut en être conscient. C’est pourquoi, au moindre doute, je recommande de privilégier la version papier numérisée du journal officiel, mise à disposition pour la version initiale des textes. J’ai l’impression que ces problèmes disparaissent lorsque le journal officiel dispose d’une version initialement numérisée.

Mais on trouve aussi le même type de problèmes sur les codes. Il ne faut pas hésiter à en faire part à l’équipe Légifrance. Je leur ai ainsi envoyé le message suivant le 24 avril 2021 :

« Bonjour, dans la loi HPST 2009-870, l’article 118 (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000020880270) ajoute (entre autres) l’Art.L. 1432-1 au code de la santé publique. Or, le livre 4 de ce code à la date (1/4/2010) d’application de la loi (https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006072665/LEGISCTA000006140607/2010-04-01/) ne fait pas mention de cet article L1432-1
Ainsi « Chapitre Ier : Missions et compétences des agences régionales de santé (Articles L1431-1 à L1431-3) » puis « Chapitre II : Organisation et fonctionnement des agences régionales de santé (Articles L1432-2 à L1432-12) » mais pas de L1432-1.
Avec mes meilleures salutations. »

Les sources secondaires, données de fonctionnement d’organismes et d’institutions

J’appelle sources secondaires les données issues du fonctionnement des agences et autres organismes relatifs au système de santé, des régimes et organismes de sécurité sociale, des établissements de soins et médico-sociaux, etc. Elles sont de toutes natures : comptables, de gestion, épidémiologiques, etc.

La fiabilité de ces données doit toujours être examinée. Issues majoritairement de saisies informatiques et de capteurs électroniques, elles peuvent faire l’objet d’erreurs de saisie, d’erreurs de calibrage, d’anomalies diverses voire de pannes (générant au mieux des données manquantes).
Toute une littérature existe sur cette problématique et le redressement (ou l’abandon) de ces données par les statisticiens (on peut citer parmi des dizaines, voire des centaines d’autres, les ouvrages d’Edwin de Jonge & Mark van der Loo, Robert Kabacoff, Glenn Myatt & Wayne Johnson, Luis Torgo ou encore Nina Zumel & John Mount).

C’est pourquoi certains proposent même de ne plus les appeler données, car loin d’être immédiates (« données ») ces informations sont toujours « obtenues » à partir d’un traitement conceptuel et technique. On pourra lire à ce sujet ce très intéressant billet « data / capta : Interroger le concept de donnée à l’heure du HealthDataHub » sur le blog de Guillaume Pressiat.

En tant que citoyens, il serait extraordinaire d’avoir à traiter de la fiabilité de ce type de données. Même les données ouvertes ont déjà fait l’objet d’une analyse de fiabilité et d’un éventuel nettoyage par les administrations et autres établissements qui les mettent à disposition.
Mais personnellement je n’ai pour l’instant pas l’habitude d’aller directement sur les sites de données ouvertes comme data.gouv ou score-santé.
Je consulte plutôt des sites qui produisent des analyses et fournissent souvent les données retravaillées sur lesquelles ils s’appuient, comme la DREES ou l’INSEE. On en parle dans les sources tierces.

Les sources tierces sur Internet

Nous autres citoyens n’obtenons des données relatives au systèmes de santé que par l’entremise d’institutions et d’organismes comme le DREES ou l’INSEE qui, bien que considérées comme fiables sont quand même tierces.
Dans ce cas, les données sont fournies avec leur interprétation, interprétation généralement illustrée sous forme de graphiques.

L’interprétation fournie par ces spécialistes est toujours intéressante. Mais est-elle la seule ? D’autres aspects ne peuvent-ils être mis en lumière ?
C’est pourquoi il est assez souvent pertinent de reprendre les données interprétées, pour réaliser soi-même des représentations graphiques. Je dis « des représentations » car il n’y a pas qu’une façon de représenter des données, et cette diversité peut permettre de découvrir de nouvelles interprétations.

Par ailleurs, il convient d’être extrêmement prudent dès qu’il est question de corrélation ou de causalité.

Parmi les sources tierces que je privilégie, je peux citer par ordre alphabétique :

Mention particulière à France Culture et notamment à l’émission la bulle économique qui traite fréquemment du système de santé d’une manière toujours pertinente et documentée.

La plupart des sources citées met à disposition un ou plusieurs flux RSS, ce qui permet de réaliser une veille facile.

Enfin si, comme moi, vous n’êtes pas un fan de la cybersurveillance, je ne peux que vous conseiller d’utiliser des moteurs de recherche respectueux de la vie privée comme startpage ou duck duck go.


———- La citation :

—- « Mon cher et jeune ami, il n’y a que deux erreurs qui pourraient être fatales pour une personne comme vous qui, de par ses activités passées, s’est mise dans une situation… particulière. D’une part tout ce qui ressemblerait, même de loin, à un manque d’initiative serait désastreux. D’autre part, la moindre tentative d’action non autorisée pourrait avoir des conséquences dont je ne pourrais pas vous protéger. Mais, tant que vous éviterez ces deux extrêmes, il n’y a aucune raison (je parle en mon nom personnel) pour que vous ayez la moindre crainte pour votre sécurité. »
Il raccrocha sans attendre la réponse.

Clive Staples Lewis « Cette hideux puissance » chapitre 12-II, traduction de Frank Straschitz aux Nouvelles éditions Oswald (NéO) 1979

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