Konk_Gwin

Le gouvernement de la sécurité sociale (2/5) 1967 l'expérience d'un paritarisme absolu

Étiquettes:
Citation finale de:
Acronymes de santé:

Ce billet est le deuxième d’une série consacrée à l’évolution du gouvernement de la sécurité sociale (et particulièrement de la branche maladie). Il traite de la période [1967, 1996[, c’est-à-dire qu’il débute par la réforme Jeanneney de 1967 et s’arrête avant la réforme Juppé de 1996.

Pour une présentation générale de cette série, ainsi que la liste des billets qui la composent, on pourra consulter cette page.


Sommaire


2 En 1967, un pilotage paritariste et une gestion par grands risques

« Les 4 ordonnances du 21 août 1967, dites ordonnances Jeanneney, marquent la deuxième des trois grandes dates de la Sécurité sociale, les deux autre étant 1945 et 1996. Il est particulier, pour ne pas dire symptomatique que, en ces trois occasions, ce soit par le biais d’ordonnances que la Sécurité sociale connaît ses plus grandes réformes. »
(source INA Les ordonnances Jeanneney)

Les ordonnances dites Jeanneney sont parues au journal officiel du 22 août 1967 (JORF 99° année n° 194). Les quatre ordonnances sont :

  • L’ordonnance n° 67-706 du 21 août 1967 relative à l’organisation administrative et financière de la sécurité sociale (pages 11 et suivantes du JORF)
  • L’ordonnance 67-707 du 21 août 1967 aux mesures diverses : modifications du code de santé publique (concernant la pharmacie), modifications du code de la sécurité sociale (prestations), et évolutions sur la legislation des AT/MP (pages 17 et suivantes du JORF)
  • L’ordonnance 67-708 du 21 août 1967 relative aux prestations familiales (page 21 du JORF)
  • L’ordonnance 67-709 du 21 août 1967 portant généralisation des assurances sociales volontaires pour la couverture du risque maladie et des charges de la maternité. (page 22 du JORF)
    Il s’agit ici de couvrir ceux qui « ne relèvent pas d’un régime d’assurance maladie obligatoire. » (article 1) en les rattachant à l’un des trois régimes de base obligatoires (général, indépendant, agricole) dans les mêmes conditions de cotisation et de remboursement que les autres bénéficiaires (article 2 et suivants). Je n’irai pas plus loin sur ce sujet.

Elles génèrent un mouvement de protestation massif.

Nota Bene : Concernant l’ordonnance n° 67-706 du 21 août 1967, je fais référence au journal officiel téléchargeable depuis legifrance car les versions hypertextes sur le même site ne sont pas fiables. Il en est ainsi pour l’article 47 traitant de l’ACOSS, qui ne peut être atteint qu’après sa modification par l’article 1 de la loi 68-698 1968-07-31 (JORF 2 AOUT 1968).
Je signalerai dans la suite de ce chapitre, dans la mesure du possible, les éventuelles incohérences entre la version JORF et les liens hypertextes aux articles. Mais la version de 1968 étant plus complète, ce sera ma version de base pour les liens hypertextes. En effet, cette version est issue de la loi n°68-698 du 31 juillet 1968 (pages 10 à 12 du JORF correspondant) qui ratifie les quatre ordonnances Jeanneney tout en y apportant quelques modifications.

2.1 L’abandon d’une caisse nationale unique et la création de l’ACOSS

L’ordonnance n° 67-706 du 21 août 1967 relative à l’organisation administrative et financière de la sécurité sociale modifie en profondeur son gouvernement.

2.1.1 Trois caisses nationales indépendantes

Trois caisses nationales indépendantes (maladie, famille, vieillesse) et une agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) sont créées (article 1). Elles ont toutes statut d’établissement public à caractère administratif (articles 3, 24, 37 et 48).

Structuration des caisses nationales Selon l'ordonnance n° 67-706 du 21 août 1967

Structuration des caisses nationales

Selon l’ordonnance n° 67-706 du 21 août 1967

2.1.2 Une gestion de trésorerie unique

L’ACOSS reprend une partie des prérogatives de la Caisse nationale de 1945 (qui disparaît en 1967), à savoir la gestion de trésorerie de la sécurité sociale : «L’agence centrale des organismes de sécurité sociale est chargée d’assurer la gestion commune de la trésorerie des différents risques relevant de la caisse nationale des allocations familiales, de la caisse nationale d’assurance maladie et de la caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés» (extrait de l’article 47).

Nota Bene : L’article 47 pointé par lien hypertexte correspond à la version modifiée au 2 août 1968. Cette modification a consisté à supprimer le deuxième alinéa de l’article qui spécifiait que l’ACOSS est chargée « d’assurer toutes tâches d’intérêt commun que les caisses nationales mentionnées au 1° ci-dessus pourraient lui déléguer, dans des conditions fixées par décret. ».

L’ACOSS exerce « un pouvoir de direction et de contrôle sur les unions de recouvrement (URSSAF) » (article 47) telles que décrites dans l’article 36 du décret n°60-452 du 12 mai 1960 relatif à l’organisation et au fonctionnement de la sécurité sociale.
Ainsi, depuis 1960, les caisses primaires et les CAF n’assurent plus le recouvrement des cotisations ni le contrôle et le contentieux afférent.
Cependant, selon l’INA « bien qu’assurant la remontée des fonds depuis les Urssaf, l’Acoss n’avait quasiment aucun pouvoir sur ces dernières. Il fallut attendre la loi du 25 juillet 1994, pour que l’Acoss ait enfin les pouvoirs d’une Caisse nationale vis-à-vis de ses organismes locaux. ». On constate que la loi 94-637 du 25 juillet 1994 a en effet une section consacrée à la «réforme de l’organisation des organismes de recouvrement du régime général» (articles 19 et 20). Je n’irai pas plus loin sur le sujet.

Il faut noter que l’ACOSS, contrairement aux caisses nationales, n’a pas de conseil d’administration paritaire au sens strict, puisque celui-ci comprend un président nommé par décret alors que dans les caisses nationale il est élu par le conseil d’administration.
En revanche, la représentation des trois caisses nationales dans le conseil d’administration de l’ACOSS est strictement paritaire. (article 49)

Comme les caisses nationales, l’ACOSS est soumis au contrôle des ministres de tutelle de la sécurité sociale (article 48) représentés par des commissaires du gouvernement (article 49).

2.2 La caisse nationale d’assurance maladie assure pleinement le pilotage de l’équilibre financier.

2.2.1 Un établissement public doté d’un conseil d’administration strictement paritaire

2.2.1.1 Les deux branches de l’assurance maladie

La caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) gère et assure l’équilibre financier « d’une part, des assurances maladie, maternité, invalidité, décès et, d’autre part, des accidents du travail et maladies professionnelles » AT-MP (article 2).

La CNAM et ses deux branches Selon l'ordonnance n° 67-706 du 21 août 1967

La CNAM et ses deux branches

Selon l’ordonnance n° 67-706 du 21 août 1967

Ainsi à la notion de caisse va s’ajouter la notion de branche. Elle est inscrité dans le code de la sécurité sociale à l’article L200-2 qui stipule (extrait) : « Le régime général comprend quatre branches : 1° Maladie, maternité, invalidité et décès ; 2° Accidents du travail et maladies professionnelles ; 3° Vieillesse et veuvage ; 4° Famille. L’équilibre financier de chaque branche est assuré par la caisse chargée de la gérer. » Cet article a été ajouté au code de la sécurité sociale par la loi n° 94-637 du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale article 1er.

Entre la version initiale de 1967 de l’article 2 (que je n’ai pas trouvé en lien hypertexte) et le même article au 2 août 1968, il y a :

  • une modification du deuxième alinéa qui passe de «2. De contribuer à la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles ;» à «2. De promouvoir la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles ;»
  • l’ajout des deux phrases suivantes, qui renforcent le rôle de la CNAM :

« La caisse nationale exerce, au titre des attributions énoncées ci-dessus, un pouvoir de contrôle sur les caisses régionales et primaires d’assurance maladie.
La caisse nationale émet un avis sur tous les projets de loi et de règlement intéressant les matières de sa compétence. »

2.2.1.2 Un pilotage paritaire

  • « La caisse nationale de l’assurance maladie est un établissement public national à caractère administratif. Elle jouit de la personnalité juridique et de l’autonomie financière. » (article 3) ;
  • à la CNAM s’adjoignent « des caisses régionales et des caisses primaires d’assurance maladie » (article 1) dont la CNAM assure le contrôle (article 2) ;
  • la CNAM est dotée d’un conseil d’administration paritaire, c’est-à-dire composé pour moitié de représentants des assurés et pour moitié de représentant des employeurs (article 4) ;
  • ces représentants sont désignés par les organisations représentatives nationales respectives des assurés et des employeurs, nommés pour quatre ans (article 4) ;
  • les modalités d’administration des caisses régionales (CRAM) sont identiques : conseil d’administration paritaire désigné pour quatre ans (article 6) ;
  • idem pour l’administration des caisses primaires (CPAM) (article 8).

On notera que cette composition strictement paritariste ne laisse pas de place délibérative pour d’autres types de représentants. Rappelons qu’en 1945, les représentants des professions de santé avaient voix délibératives dans les caisses primaires et les caisses régionales, mais n’étaient pas spécifiquement représentés auprès de la caisse nationale (voir dans le billet précédent).

Cependant, l’article 10 de l’ordonnance n° 67-706 du 21 août 1967 (page 12 du JORF 99° année n° 194) offre la possibilité aux caisses d’assurance maladie d’accueillir les représentants « des médecins, des chirurgiens-dentistes, des pharmaciens» ainsi qu’à des représentants «des unions d’associations familiales, de la fédération nationale de la mutualité française » avec voix consultative. Mais je ne sais pas dans quelle mesure cette possibilité a été exercée.

L’article 2 (page 10 du JORF 100° année n° 181 du 2 août 1968) de la loi n°68-698 du 31 juillet 1968 va ajouter à l’article 10 l’alinéa suivant « Le ministre des affaires sociales peut également autoriser par arrêté d’autres associations nationales ou catégories professionnelles à désigner des représentants pour siéger dans les mêmes conditions aux conseils d’administration visés à l’alinéa ci-dessus. ».

2.2.1.3 Une double tutelle

La caisse nationale des ordonnances de 1945 était sous la tutelle unique du ministère du travail.
La caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) est « soumise au contrôle du ministre des affaires sociales et du ministre de l’économie et des finances. Ces deux ministres sont représentés auprès de la caisse nationale par des commissaires du Gouvernement. » (article 3)

2.2.2 L’équilibre financier de l’assurance maladie est à la charge de la caisse nationale.

Concernant l’équilibre financier de l’assurance maladie :

  • les ressources proviennent des cotisations salariales et patronales et de contributions de l’État (article 13) ;
  • la CNAM assure l’équilibre financier de ses comptes (sauf pour les AT-MP) et « prescrit aux caisses régionales et aux caisses primaires les mesures nécessaires à cette fin » (article 16) ;
  • en cas d’excédent, les fonds sont mis en réserve (article 17) ;
  • en cas de déficit, « l’équilibre financier de la caisse nationale doit être maintenu ou rétabli » en faisant appel au fond de réserve ou,« à défaut, soit par une modification du taux des prestations, soit par une augmentation des cotisations, soit par une combinaison de ces mesures » (article 17) ;
  • « En cas de carence du conseil d’administration, le ministre des affaires sociales et le ministre de l’économie et des finances le mettent en demeure de prendre les mesures de redressement nécessaires. Si cette mise en demeure reste sans effet, le Gouvernement procède au rétablissement de l’équilibre soit en se substituant au conseil d’administration de la caisse nationale, soit en usant des pouvoirs qu’il tient de la législation en vigueur. » (article 18).

En le simplifiant à l’extrême, on peut schématiser le mécanisme d’équilibre financier prévu par l’ordonnance comme suit :

Gestion de l'équilibre financier de l'assurance maladie par la CNAM Selon l'ordonnance n° 67-706 du 21 août 1967

Gestion de l'équilibre financier de l'assurance maladie par la CNAM

Selon l’ordonnance n° 67-706 du 21 août 1967

2.3 Le rôle des caisses régionales de l’assurance maladie se réduit à un centre de services communs.

Le rôle des caisses régionales s’amenuise.

C’est désormais la caisse nationale d’assurance maladie qui gère l’équilibre des comptes (article 16) alors qu’il revient aux caisses régionales d’assumer «les tâches d’intérêt commun aux caisses primaires de leur circonscription.» (article 5)

Ainsi, la CNAM « peut mettre en demeure une caisse primaire de prendre des mesures de redressement» et, en cas de carence, se substituer au conseil d’administration de cette CPAM «et ordonner la mise en application des mesures qu’elle estime nécessaires pour rétablir la situation financière de la caisse primaire. » (article 22) La caisse régionale n’a donc plus de rôle à jouer sur ce sujet.

De plus, les caisses régionales avaient, relativement à l’assurance maladie, en charge la gestion des AT/MP et le contrôle médical pour la région. Elles n’ont plus spécifiquement en charge que «de développer et de coordonner la prévention» des AT/MP et de « concourir à l’application des règles de tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles et à la fixation des tarifs.» (article 5)

2.4 En conclusion, une gestion paritariste à la main des organisations patronales et syndicales

2.4.1 Une nouvelle répartition des attributions au sein des caisses de sécurité sociale

Avec la transformation d’une unique caisse nationale de sécurité sociale en trois caisses indépendantes et une agence centrale assurant le recouvrement et la trésorerie, la structuration des attributions relatives à la gestion comptable et financière de l’assurance maladie peut se schématiser comme suit :

Répartition schématique des attributions d'assurance maladie Selon l'ordonnance n° 67-706 du 21 août 1967

Répartition schématique des attributions relatives à l'assurance maladie

Selon l’ordonnance n° 67-706 du 21 août 1967

Au sein de l’assurance maladie, le rôle de la caisse nationale se renforce ou, pour le dire autrement, l’autonomie de gestion des caisses régionales et locales diminue :

Répartition des principales attributions des caisses d'assurance maladie Selon l'ordonnance n° 67-706 du 21 août 1967

Répartition des principales attributions des caisses d'assurance maladie

Selon l’ordonnance n° 67-706 du 21 août 1967

À ceci il faut ajouter l’article 67 qui donne un droit d’inspection aux caisses nationales : « Les représentants des trois caisses nationales des allocations familiales, de l’assurance maladie, de l’assurance vieillesse disposent d’un droit d’inspection sur les organismes qui relèvent de ces caisses. »

2.4.2 Un changement profond du mode de gouvernement

2.4.2.1 Une responsabilisation financière de la CNAM

Relativement au gouvernement de l’assurance maladie, d’une manière très schématique, nous avons donc ici un pilotage paritaire (composition des conseils d’administration de la CNAM et des CRAM et CPAM) délégué aux organisations patronales et syndicales représentatives, qui nomment les administrateurs.

Ces organisations sont alors pleinement responsables de l’équilibre des comptes (décidant du taux des prestations et des niveaux de cotisation, voir plus haut), l’État s’attribuant un rôle de gendarme en dernier recours (article 18) sur ce sujet.

2.4.2.2 Un changement de tutelle

Par ailleurs, il convient de noter que la sécurité sociale passe d’une tutelle du ministère du travail à une double tutelle du ministère des affaires sociales et du ministère des finances.

Ce changement significatif mériterait une analyse ici, ou au moins une mise en contexte. J’ai réalisé une brève recherche sur Internet mais n’ai rien trouvé d’exploitable, même dans le chapitre consacré à la réforme de la sécurité sociale de l’ouvrage d’Éric Kocher-Marboeuf « Le Patricien et le Général, Jean-Marcel Jeanneney et Charles de Gaulle, 1958-1969 (2 vol.) ».

Les ministères de tutelle exercent un contrôle permanent des décisions des caisses nationales via l’article 64 : « Les délibérations du conseil d’administration de la caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, de la caisse nationale des allocations familiales, de la caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés et de l’agence centrale des organismes de sécurité sociale, à l’exception de celles qui, en vertu des dispositions législatives ou réglementaires, doivent être soumises à approbation, ne deviennent exécutoires que s’il n’y a pas opposition du ministre des Affaires sociales ou du ministre de l’Economie et des finances dans les vingt jours de la communication à eux donnée des délibérations. »

Bien sûr, un historien de la sécurité sociale irait fouiller le rôle des commissaires du gouvernement et le contrôle exercé de ce fait par les ministères de tutelle (article 3). En m’appuyant seulement sur le code de la sécurité sociale, on peut lire à l’article L221-2 (version de sa création par décret en 1985) que « La caisse nationale de l’assurance maladie est un établissement public national à caractère administratif. Elle jouit de la personnalité juridique et de l’autonomie financière. Elle est soumise au contrôle des autorités compétentes de l’Etat. Celles-ci sont représentées auprès de la caisse nationale par des commissaires du Gouvernement. » Cette formulation est demeurée inchangée depuis. Mais je n’en sais pas plus.

2.4.2.3 Une volonté du CNPF

Dans l’article «La démocratie sociale dans la gestion de la sécurité sociale de 1945 à 1994» déjà cité, Bruno Valat et Michel Laroque montrent pourquoi et comment ce pilotage partiaire et la création de caisses autonomes a répondu aux souhaits du CNPF (le CNPF a été remplacé en 1998 par le MEDEF) :

« Dans un ensemble de mesures variées, les deux principales revendications du CNPF , séparation des risques et paritarisme, étaient en effet retenues.» […]
« Le paritarisme, assorti du retour à la désignation, constituait en effet une véritable révolution, au moins sur le papier : face aux représentants des salariés, le Cnpf se voyait accorder la totalité des neuf sièges attribués au patronat dans les nouvelles caisses.» […]
« L’introduction du paritarisme se traduisait donc par un renouvellement complet du rapport de forces : face au monolithisme patronal, l’émiettement traditionnel du syndicalisme ouvrier apparaissait dans toute son étendue et risquait d’affaiblir les représentants des assurés, aboutissant à un nouveau déséquilibre, de sens contraire. »

Pour Valat & Laroque le modèle ouvriériste de la sécurité sociale avait fait long feu. D’une part, « les partenaires sociaux et les caisses s’étaient retrouvés rapidement cantonnés à des rôles secondaires, ou d’exécution» et, d’autre part, «la politisation syndicale, le poids du PCF dans la vie sociale étaient également en question ». (En 1967, nous somme en pleine période de guerre froide.)
« C’était précisément pour redonner un certain pouvoir aux partenaires sociaux – assorti de vraies responsabilités – que la réforme de 1967 introduisit le paritarisme. »
Ainsi, « au modèle ouvriériste qui avait prévalu à la Libération succédait un modèle paritaire issu d’une tradition différente ».

Pour un approfondissement de la notion de paritarisme, on pourra consulter « Genèses et usages de l’idée paritaire dans le système de protection sociale français. Fin 19e - milieu du 20e siècle » de Gilles Pollet & Didier Renard. In: Revue française de science politique, 45ᵉ année, n°4, 1995. pp. 545-569. DOI : https://doi.org/10.3406/rfsp.1995.403558

2.5 1982 - Un intermède de retour vers des élections et d’abandon du paritarisme

La loi Bérégovoy 82-1061 du 17 décembre 1982 relative à la composition des conseils d’administrations des organismes du régime général de sécurité sociale rétablit, pour un temps, des élections au sein des caisses de sécurité sociale et d’allocations familiales.
Elle est modifiée par la loi 84-575 du 9 juillet 1984 portant diverses dispositions d’ordre social.
Dans la suite de ce chapitre, nous nous référerons à la version modifiée de la loi de 1982, c’est-à-dire la loi 82-1061 du 17 décembre 1982 en vigueur au 10 juillet 1984.

Les modalités électorales (et la composition des conseils d’administration des caisses) sont différentes de celles de 1946, que nous avions décrites ici.

Seuls les représentants des assurés sociaux sont élus (article 1).
Même si ce n’est pas explicité, on déduit du texte de loi que les élections se réalisent sur des listes présentées par les syndicats. On en trouvera la confirmation dans ce discours de Pierre Beregovoy du 25 mai 1983.

Les élections des administrateurs par les assurés sociaux se font au niveau des caisses primaires d’assurance maladie (article 1).
Les administrateurs des caisses régionales (article 2) et de la caisse nationale (article 9) sont ensuite désignés par les organisations syndicales en proportion des résultats des élections aux caisses primaires (article 5 pour les caisses régionales, article 12 pour la caisse nationale).

Les conseils d’administration des caisses primaires d’assurance sont composés (article 1) de vingt-cinq membres ayant voix délibérative :

  • « Quinze représentants des assurés sociaux élus par ceux des assurés qui ont leur résidence dans la circonscription de la caisse »
  • « Six représentants des employeurs désignés par les organisations professionnelles nationales d’employeurs représentatives »
  • « Deux représentants désignés par la fédération nationale de la mutualité française »
  • « Deux personnes qualifiées désignées par le ministre chargé de la sécurité sociale, l’une parmi des organisations de salariés, l’autre parmi des organisations d’employeurs. »

On voit donc que la majorité des membres est constituée des représentants élus des assurés sociaux (15/10). En fait, sur les vingt-cinq administrateurs, 16 sont issus directement des rangs syndicaux (quinze sont élus et un est nommé en tant que personne qualifiée).

De plus ont voix consultative (article 1) un représentant des associations familiales, trois représentants des personnels et un représentant des professions de santé.

La composition des conseils d’administration des caisses régionales et de la caisse nationale d’assurance maladie est à peu près identique à celle des caisses primaires.

Les modalités électorales et de composition des conseils d’administration sont semblables pour les autres branches de la sécurité sociale.

Les élections se tiendront le 19 octobre 1983 (voir le site de l’INA).

La lecture de la loi de 1982 sur le site de Légifrance montre que les articles en seront abrogés par la loi Séguin 87-588 du 30 juillet 1987 portant diverses mesures d’ordre social sous le gouvernement Chirac de cohabitation. Cette abrogation est, selon Legifrance, contenue dans l’article 1er alinéa 2 qui stipule que sont abrogées « Les dispositions de nature législative mentionnées à l’article 3 du décret n° 85-1353 du 17 décembre 1985 et à l’article 48 du décret n° 86-838 du 16 juillet 1986, modifié par l’article 21 du décret n° 86-839 du 16 juillet 1986. » Je me suis essayé à la lecture de l’article 3 du décret n° 85-1353. J’ai abandonné…

Jean-François Chadelat précise dans sa présentation du média INA déjà cité que « Il n’y a plus ensuite [c’est-à-dire après 1983] d’élections à la Sécurité sociale. Les mandats des élus de 1983 sont à plusieurs reprises prorogés jusqu’en 1996 et jusqu’au plan Juppé, qui rétablit le paritarisme et supprime les élections, pour revenir à la désignation. Il ne semble pas que cette suppression ait alors suscité un grand émoi dans les centrales syndicales. »

Quand M. Chadelat écrit que le plan Juppé « rétablit le paritarisme », il faut entendre que les représentants des syndicats et les représentants des employeurs se retrouveront à nouveau en nombre égal (à parité, donc) dans les conseils d’administration des caisses. Mais la réforme Juppé ne rétablit pas la parité au sens strict de 1967, comme nous le verront dans le billet suivant de cette série.


———- La citation :

Comme le grain sur la terre j’ai répandu mes morts
certains reposent à Odessa, certains à Istanbul, à Prague d’autres encore,
le pays que je préfère est la terre entière
quand viendra mon tour recouvrez moi de la terre entière.

Nâzim Hikmet « Quatrain » extrait du recueil Il neige dans la nuit et autres poèmes chez Gallimard


Menu